L’industrie de la connaissance, un fleuron méconnu
Président de la Fédération Syntec, président de la Commission « Souveraineté et sécurité économique des entreprises » du Medef, et Directeur général adjoint de Sopra Steria, Laurent Giovachini nous présente son dernier ouvrage en date : Les nouveaux chemins de la croissance, paru le 17 novembre aux éditions Dunod. Il avance une analyse du contexte socio-économique français et européen, et propose des solutions concrètes pour répondre à des enjeux aussi structurants que l’autonomie stratégique, la souveraineté économique, ou la revitalisation des territoires.
Dans un premier temps, pouvez-vous nous présenter la Fédération Syntec et son rôle en France ?
Laurent Giovachini : La Fédération Syntec regroupe les syndicats professionnels représentant 5 secteurs d’activité : le numérique, l’ingénierie, le conseil, l’événementiel et la formation professionnelle. Pour le compte de ce collectif elle effectue plusieurs missions : négocier la convention collective avec les partenaires sociaux, piloter la politique de formation et d’emploi de la branche, promouvoir le dialogue social ou encore défendre les intérêts collectifs de ses membres et leur représentation auprès des pouvoirs publics. En quelques chiffres, la Fédération Syntec représente ainsi plus 80 000 entreprises qui rassemblent 1 million de salariés, produisent 8% du PIB français et créent plus de 60 000 emplois nets par an. Notre rôle majeur aujourd’hui est de mettre en évidence auprès des différents acteurs politiques, territoriaux et économiques que notre industrie de la connaissance, qui couvre l’ensemble des domaines d’activité dits, selon l’INSEE, à « Haute Valeur Ajoutée », est un véritable fleuron de l’économie et du rayonnement de la France.. En d’autres termes, toutes les fonctions absolument nécessaires à la réalisation des ambitions stratégiques françaises, et à la relève des défis qui nous incombent aujourd’hui, qu’il s’agisse de décarbonation, de réindustrialisation, de souveraineté numérique, de revitalisation des territoires, etc.
Avec votre livre : Les nouveaux chemins de la croissance, édité chez Dunod, vous espérez mettre en lumière cette industrie de la connaissance ?
Laurent Giovachini : Tout à fait. Ce livre trouve sa genèse dans un double constat. Le premier est personnel, je trouve que le débat public actuel est en quelques sortes victime de l’arbre qui cache la forêt. En se cristallisant sur certains points de détails, nous en oublions de parler des enjeux structurels auxquels nous devrons répondre collectivement, et rapidement, sous peine de voir la France subir sans en avoir la maîtrise les transformations actuelles de notre monde (écologiques, économiques, financières, technologiques…). Le second constat est quant à lui partagé avec la Fédération Syntec et les entreprises qu’elle représente, à savoir que l’industrie de la connaissance n’est que trop rarement mise à profit pour relever ces défis. Ce livre porte donc l’ambition, à la veille d’importantes échéances politiques, de faire l’inventaire des enjeux auxquels les prochaines politiques devront répondre, et d’explorer des pistes de solutions, de partager des bonnes pratiques constatées dans d’autres secteurs.
Parmi ces enjeux, pourriez-vous exposer ceux qui vous semblent absolument prioritaires, et en quelques mots la manière dont nous pouvons y répondre ?
Laurent Giovachini : J’identifie deux enjeux qui, à défaut d’être prioritaires, ont le mérite d’être tout à fait symptomatiques d’une problématique globale.
Le premier est un très bon exemple de la manière dont la France et l’UE doivent davantage coopérer, et surtout accélérer, sur des questions stratégiques puisqu’il s’agit de l’autonomie stratégique et de la souveraineté numérique. Prises de contrôle capitalistiques, espionnage industriel, tentatives de déstabilisation par des fonds activistes, désintermédiation par les géants du numérique, cyberattaques… nous payons aujourd’hui les pots cassés de plusieurs décennies de naïveté, et l’Europe doit très vite redresser la barre, si possible sous l’impulsion de la prochaine présidence française. Une piste qui me semble acceptable et tout à fait réalisable est de réinventer notre libéralisme, en trouvant l’équilibre difficile mais salutaire entre protectionnisme et attractivité. Par exemple dans le numérique, certains secteurs méritent de disposer de prestataires franco-français (nucléaire, armement) ou européens (santé, régulation numérique), là où d’autres peuvent tout à fait continuer à faire appel à des acteurs étrangers, pour la plupart américains puisqu’il s’agit essentiellement des fameux GAFAM. En d’autres termes, il ne s’agit pas de faire émerger des champions européens pour la beauté du geste, et pour l’ensemble des entreprises européennes, mais si et seulement si notre autonomie stratégique est en jeu.
Le deuxième enjeu est quant à lui très français, puisqu’il s’agit de réfléchir à la réduction de la fracture territoriale en France. Si cette question est latente depuis plusieurs décennies, la crise et l’émergence du télétravail qui a suivi nous ont mis devant un ultimatum. Aujourd’hui, soit nous continuons sur notre lancée en délaissant la « France périphérique », et allons voir émerger de nouvelles cités dortoirs avec le télétravail, soit l’Etat et les pouvoirs publics locaux prennent leurs responsabilités et mobilisent tout l’écosystème autour de la revitalisation des villes moyennes.
En effet, des études menées par l’Institut Sapiens et le Cabinet Asterès le montrent, il est possible de revitaliser des villes moyennes de 40 à 100 000 habitants en associant la puissance régalienne de l’Etat, la connaissance terrain des pouvoirs publics locaux, et le dynamisme de l’industrie de la connaissance. Cela peut passer par exemple par la déconcentration de certains des services de l’Etat ; si ces greffes d’emplois sont correctement réalisées en coordonnant étroitement puissance publique et secteur privé, il est possible de créer ex nihilo des zones d’activité dans des territoires peu dynamiques et pauvres en emploi. En résumé, répondre à ces enjeux implique de trouver ensemble ces fameux « nouveaux chemins vers la croissance », des chemins qui constituent une troisième voie entre des schémas devenus obsolètes, et une décroissance qui ne peut être que délétère.